Thursday, June 4, 2009

Artistes de la rue

Et si l'on écrivait l'histoire de ces artistes de l'ombre du coin d'un oeil.

Ceux là qui pour quelques "groszy" vous livrent une parcelle de leur vie.


Musiciens de boîte à flûtes, gratteurs de guitare à contes ou raconteurs d'accordéon à chansons.

Toujours l'air triste, un peu, toujours la main ouverte, tendue.

Pourtant l'air absent, faux joyeux; ils mènent une vie de contrastes.


Natasha est piccoliste de grandes places animées. Ses airs léger emballent la foule et volent aux passants des sifflements de complicité. Son âme, pourtant, vogue sur les airs tristes du Dr. Jivago en lambeaux déchirées, errant dans la steppe desertée, congelée. Natasha s'exécute où son coeur l'appelle, près des tables en terrasse du bistrot ou des portes du caveau. Sa plus grande frousse: devoir entrer, bosser et y être prisonnière toute la journée.


Victor est directeur de boîte à musique. Il supervise le souffle des sifflets de bois, les pas des pantins de chaque coin ainsi que le ton de la musique accordée au roulement de la manivelle et aux profondeurs des pistons. Il s'installe toujours près de chez Dom Restauracyjny Gessler, le resto avec de l'herbe pour plancher car il y trouve son ombre et ses passants qu'il connaît tous par leurs paroles silencieuses et leurs regards curieux-timides. Sa plus grande crainte serait de quitter sa vie rythmée au battement de son bras tournant. Il souffre du regard quotidien de centaines d'inconnus connus, amis de la rue, qui viennent et qui vont en souriant, hypocrites, poliement.



Anais est charmeuse de corde à guitare. Envouteuse indienne, pareille, celles qu'elle gratte lui obéissent et chantent pour les auditeurs-passants des mélodies d'autre temps. Elle déploie son théâtre sur les pavés, adossée au rebord du trottoir, exposée. Ses genous sur le plastique, sur la pierre, sont usés, blessés. Son coeur congelé, tiraillé entre le désir de se lever et bouger et celui d'entendre tinter un "zloty" lancé, la fixe dans l'espoir. Ce qu'elle croit craindre le plus: perdre sa "liberté" d'aller.


Stalislav est clown. Sur son bloc, immobile, il tient la pose. Silencieux, les yeux vitreux, les muscles douloureux, il prendrait bien un repas, du repos, du soleil, juste un peu. Sans avoir à amuser petits derniers et grands bébés qui le font s'exécuter sans le payer. Il a mal à demain, pareil à l'aujourd'hui de sa peine; au présent de chaque minute où il doit cacher sous un sourire trop grand, trop rouge, trop accroché, sa détresse. Ainsi que toutes celles marquées dans les rides profondes qui s'expriment de chaque côté de ses yeux et qui servent de goutière la soirée arrivée. Il vit pour le souffle, le rire spontané d'un enfant de passage. Il vit, moi je le dis, mais le clown se meurt.


Marie-Julie est dompteuse d'inconnu, exploratrice de civilisation, entraîneuse de voyageurs, éleveuse d'un quotidien différent de demain. Elle s'exécute partout du soir au matin. Peu importe la langue ou les coutumes du public elle s'y trouve, s'y ajuste et obtient ce pourquoi elle tend la main. Son théâtre elle le déroule où le vent veut bien la porter, où la nécessité se pointe le nez. Elle a la tête trouble de nouvelles idées, de projets, de choses à raconter, de questions à poser.  Mais devant elle, il n'y a que le passant inconnu pour l'écouter.  Ce qui la fait le plus reculer c'est de penser que jamais elle ne voudra quitter ce monde qu'elle n'a pas adopté.


SB - Pologne, 26 avril 2003
R: 8 septembre 2010

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