Monday, November 23, 2009

L’Inde à vélo



Pour moi l’Inde c’est comme lorsque j’ai appris à faire de la bicyclette. Cet été de mes 6 ans où j’avais reçu ce beau bicycle « gold » avec un siège banane. J’étais tout excité devant ce bolide de grands qui allait certainement impressionner plus d’un copain. Au début c’est épeurant. J’étais bien content d’avoir des petites roues. Tout est nouveau, tout va trop vite. Aucun de mes repères ne semblait trouver prise pour m’ancrer solidement et me dire par où commencer. Mes réflexes de tricycle n’étaient plus du tout adaptés! Je trouvais ma monture haute et chancelante (toujours à tanguer sur une petite roue ou une autre). Chocs après chocs, je tombais et retombait. Je me frappais, je me faisais mal. Je ne voulais plus apprendre.

Les odeurs d’urines, les pauvres et éclopés partout sur la rue, sur les trottoirs; la densité de gens, partout, peut importe où l’on essaie de se « cacher », la folie des chauffeurs d’autobus, d’auto, de vélo et de rickshaw, la bureaucratie, la pollution, les maladies, l’insalubrité, la décrépitude des trottoirs, des maisons, des palais…

J’en suis même arrivé à douter. Qu’est-ce que les gens peuvent bien y trouver de plaisant? Il doit y avoir autre chose, quelque chose que je ne comprends pas car ils sourient et semblent prendre plaisir à circuler à vélo. Je reluquais mon tricycle…

On réessaie! C’est plus facile. Je sais que ça ne compte pas avec les petites roues, mais au moins je roule, Na!

Alors on s’exclame devant l’explosion de couleurs, d’affiches et de building. Des vieux édifices publics aux forts accents coloniaux, des boutiques de rue si petites qu’à faire du lèche vitrine on risque d’embrasser le vendeur, aux taxis Ambassador tout droit sortis des années 30. Des couleurs bien à eux, des couleurs nouvelles, des formes connues dans un ensemble tout nouveau.

Un bon matin en se levant, une folie m’a prise. Je suis allé dans la cuisine endormie du samedi matin. D’un regard décidé j’ai fixé mon père et je lui ai dit : « Papa, aujourd’hui je veux apprendre à faire de la bicyclette comme un grand! Je veux enlever les petites roues de sur ma bicyclette. » Ça semblait aussi simple que ça.

Paf, je tombe! Je tombe malade. Bienvenue les colliformes avec votre fièvre et la diarrhée par les 2 bouts.

Le plaisir semble bien loin ;-)

Mon père avec sa grosse main a pris l’arrière de ma bicyclette dorée. Je tangue à en attraper un mal de mer, je me fiais sur la main forte, rassurante qui me remettait d’aplomb. Tout semble rouler depuis quelques instants. Je regarde par dessus mon épaule, juste derrière, pour lui sourire et l’inciter à ne pas me lâcher… et je le vois loin, là-bas derrière… j’avance seul. Et Paf, je tombe encore! Dans le piège du vendeur déguisé en guide d’information touristique, paf, j’arrive à la fin du bout de la queue après avoir « laissé passer » tout le monde…

Mais j’ai réussi. Je sais que je suis capable! C’est là que le fun commence. Je relève tranquillement la tête et je commence à prendre plaisir à rouler. La vitesse, le vent dans mes blonds cheveux, les gens, les sourires, leur accueil spontané, sincère et chaleureux. La curiosité toujours pour nous connaître un peu plus et nous remercier d’être venus voir leur pays nous qui venons d’un si beau pays.

On compte beaucoup plus de journées de plaisir à mesure que l’on prend l’habitude et de l’assurance. Je peux sentir maintenant ce qui faisait sourire les gens à vélo, je peux sourire moi-même.

Car je suis émerveillé par cette culture vieille de 3000 ans qui a su influencer le monde et incorporer ce que le monde lui a retourné. Car je suis enivré par les odeurs d’épices, si variées, en pleine rue, à chaque bouffé d’air chargée de saveurs de curry, de muscade, de poivre, de chai et de cumin. Car je suis embalé par ce peuple, ses coutumes, ses saris et ses mets variés d’une région à l’autre, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Ses purry, ses tandoori, ses biryanis, les lassis, ses thalis et ses idlis.

De temps à autre ma trop grande témérité me plonge à nouveau sur le bitume, comme cette fois où j’ai voulu sauter avec une planche mal installée sur un bloc de ciment un peu trop immobile. Et cette fois encore où j’ai mangé ce que je n’avais ni commandé ni espéré.

Mais dans l’ensemble je souris. Et je connais maintenant mon vélo, les règles qu’il faut respecter pour qu’il continue de bien rouler en me gardant bien en selle et je connais mes capacités. Je peux donc explorer autant que je peux endurer de crampes dans mes mollets fatigués.

Je connais les règles du jeu ici désormais. Une nation plus vieille, beaucoup plus complexe que ce que j’ai visité que je peux désormais apprivoiser selon mes goûts et mes intérêts. Un autre voyageur ira par des chemins bien différents cueillir d’autres expériences qui l’emballeront tout autant. Cependant, nous aurons tous pris le temps d’apprendre à pédaler. L’Inde doit s’apprivoiser une côte à la fois au cours d’une longue randonnée. Ce n’est pas un pays que l’on peut sprinter. Les mystères du Rajasthan, de l’Hindouisme, des castes et du Kamasutra sont les prochaines avenues que j’emprunterai car je sais que peu importe les côtes à monter, mes cuisses pourront supporter les gorges et les cols escarpés de ces contrées non encore visitées..

Aujourd’hui, est-ce que vous accepteriez de renoncer aux plaisirs du vélo? Et la beauté de ce sport ne réside-t-elle pas dans le fait que tu ne sais jamais quand un caillou se plantera sous ta roue?

Sébastien Barrette
E: 15 janvier 2003

2 comments:

  1. Intéressant cet exercice de style. Intéressant le lien entre l'apprentissage du vélo et celle d'une culture totalement différente de la nôtre. Intéressant les liens par la découverte et l'apprivoisement. Intéressant ce lien entre oser se casser la gueule en voulant se dépasser et oser sortir des sentiers battus pour sentir comment les autres vibres. Intéressant ce lien au bonheur de celui qui gagne de l'assurance à maîtriser son vélo et celui qui prend plaisir à sentir et goûter (dans le sens large des termes).

    Vraiment intéressant Seb. Tu m'impressionnes. Tu me fais penser à un ami, ingénieur également, qui aspire un jour à écrire. Voici ce que je lui disais dernièrement, pour l'encourager à aller au bout de lui-même.

    (...)

    Bon, bref, revenons aux choses existentielles. Quand est-ce que tu vas te jeter à l'eau? On s'en fout que tu écrives un truc économico-environnemental (!) ou un truc d'aventure. Bout de viarge, déguidine! Petit conseil. Si tu veux pogner, trouve-toi un héro et une héroïne. Ils sont beaux, ils sont jeunes. Pi là, bang! Y'a un os. Ils se chicanent, y'a un gars ou une fille qui rentre dans le décor. C'est le personnage de l'arrogant ou de la bitch, qu'on déteste immédiatement. Pi là, on ne souhaite qu'une chose, c'est que le couple idyllique finira par se retrouver. Mais là, y'a plein d'embûches. En tout cas, tu vois le genre. Faut que ça souffre un p'tit brin. À travers tout cela, s'installe une intrigue. Bon, genre, l'arrogant ou la bitch a des pratiques sexuelles déviantes. Encore mieux, l'un ou de l'autre vient d'un milieu de criminel. Disons de la drogue. Le synopsis du récit commence à se forger. On a l'amour, la trahison, le sexe et la drogue. Ne manque que le Rock & Roll, pour boucler la boucle. À travers ça, nos jeunes amoureux passent une étape importante de leurs vies. De l'insouciance ... à la conscience! OK, t'as tous les ingrédients. Un peu de recherche, pi le tour est joué. T'as là un best seller, c'est certain. Maudite marde, si j'avais le temps, je l'écrierais moi-même cette histoire. Mais je suis généreux, je t'en fais cadeau. Quant viendra le temps d'éditer le livre, ne m'oublie pas dans la dédicace! Quand tu auras fini d'écrire, envoie-moi les épreuves. M'envachéquéwoire! Faque, t'as pas le choix, fait quekechose au lieu de perdre ton temps à bizouner. Paul Auster, lui, quand il s'y met, il s'enferme dans son loft de New-York, pi il écrit. Bon, OK, t'as pas de loft. Tu peux faire comme si. Tu t'installes à l'étage de ta maison, tu bouches les fenêtres pour ne rien voir à l'extérieur, pi t'écris mon histoire.

    Anthony

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  2. Mais ce blog n'est-il pas en soit une façon de se jetter à l'eau ?

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